TraAM 2023-2024. Esprit critique : introduction, ressources et réflexions

Notre problématique

En quoi certaines activités mathématiques du collège et du lycée peuvent-elles développer l’esprit critique des élèves, cette pensée qui permet d’être indépendant dans ses choix, dans un monde où il nous faut distinguer ce qui est certain, ce qui est important et ce qui est éthique, et dans lequel nous sommes submergés d’informations ? Tout ce que nous entendons, lisons, est-il digne de confiance ? Pourquoi la vérité est-elle importante et où la trouver ? N’y a-t-il toujours qu’une seule vérité, un seul choix possible ? 
Et en particulier, peut-on croire les intelligences artificielles ? Un argument mathématique est-il toujours fiable ? 

Des points d’appui pour justifier le travail sur le développement de l’esprit critique

Margarita ROMERO définit la pensée critique comme la capacité de développer une réflexion critique indépendante. La pensée critique permet l’analyse des idées, des connaissances et des processus en lien avec un système de valeurs et de jugements propre. C’est une pensée responsable qui s’appuie sur des critères et qui est sensible au contexte et aux autres.

A partir du référentiel de compétences de l’OCDE, elle a proposé en 2016 le schéma des compétences transversales suivant, compétences choisies comme les plus importantes au XXIème siècle. La pensée critique semble y englober toutes les autres parce qu’elle doit être mise en œuvre dans toutes les situations.

Notons que si tous les organismes (OCDE, UNESCO …) ne proposent pas le même référentiel de compétences pour notre siècle, s’ils utilisent des typologies différentes, la pensée critique est toujours présente, elle fait donc consensus et cela prouve que c’est une compétence fondamentale que les professeurs doivent développer chez leurs élèves.

Pour Jean-Paul DESBIENS, la pensée critique est une démarche qui permet de donner la valeur d’une idée ou d’une chose, en dehors de toute description et explication. En 1999, il en donnait quelques caractéristiques :

  • Liberté de douter, d’interroger, de s’exprimer.
  • Rigueur intellectuelle qui respecte la démarche naturelle de la raison, qui procède du connu vérifié vers l’inconnu prochain, qui adopte la méthode propre à chaque discipline.

Cependant, Henri POINCARE écrivait dans La science et l’hypothèse en 1902 : « Douter de tout ou tout croire sont deux solutions également commodes qui, l’une comme l’autre, nous dispensent de réfléchir. » Former à l’esprit critique n’est donc pas chose aisée pour les enseignants : c’est une compétence très complexe, qui nécessite beaucoup de prudence. En 2016, EDUSCOL a apporté un éclairage sur son enseignement

Esprit critique et monde numérique

Par ailleurs, le développement de l’esprit critique chez les élèves est essentiel à l’ère de l’intelligence artificielle et des transformations technologiques. Nous avons donc réfléchi plus en profondeur sur les avancées de la recherche en intelligence artificielle (IA) et la manière de définir précisément ce que recouvre ce concept émergent.

Le terme a été prononcé pour la première fois en 1956, ce qui témoigne de la relative jeunesse de ce domaine. L’essor de l’intelligence artificielle a été fortement influencé par le big data, une réalité mise en lumière par le travail de Yann le Cun qui décrit l’IA comme “un ensemble de techniques permettant à des machines d’accomplir des tâches et de résoudre des problèmes normalement réservés aux humains et à certains animaux.”

Pour former les élèves à bien considérer les intelligences artificielles, distinguons d’abord deux types d’IA: l’IA faible, où la machine est programmée pour effectuer des tâches précises, toujours de la même façon, et l’IA forte, plus autonome et qui évolue seule (par deep learning). Un exemple concret d’IA forte est “Teachable Machine“, application web conçue pour reconnaître et classer des objets à partir d’images ou de photos grâce à l’apprentissage par réseau de neurones artificiels. 

Le moteur de recherche Google, très puissant, pourrait être considéré comme une IA faible par son fonctionnement. Il a sur une IA forte, telle que le robot conversationnel ChatGPT, l’avantage d’indiquer la source du document auquel on porte attention, ce qui est indispensable lorsque l’on veut exercer son esprit critique en mesurant la fiabilité des informations. La possibilité d’utiliser l’interaction avec l’IA comme un moyen de développer la pensée critique reste donc à explorer. ChatGPT ne fournit pas nécessairement la bonne réponse tout de suite, incitant ainsi à argumenter pour parvenir à une solution. Cette dynamique pourrait être un moyen efficace de cultiver l’esprit critique des utilisateurs et de les pousser à explorer différentes perspectives.

Esprit critique et sciences cognitives

Dans une situation nouvelle, le cerveau fait une prédiction pour l’appréhender. La surprise peut subvenir quand l’écart entre sa prédiction et ce qu’il comprend finalement de cette situation est important. Et c’est cet écart, cette surprise qui crée la motivation et l’apprentissage. Mettre les élèves dans des situations nouvelles et déroutantes est donc important. Encore faut-il qu’ils aient la capacité de s’être suffisamment interrogés sur la situation dans un premier temps, puis de comprendre la réalité et de mesurer l’écart de conclusion fait par le cerveau, en lien avec la pensée critique.

Par ailleurs, Olivier Houdé a développé la théorie des trois systèmes de la pensée : le système 1 est le système heuristique, celui de la pensée intuitive, rapide, basée sur la perception ; le système 2 est plus lent, et réfléchi, il utilise la logique ; l’activation du système 2, plus coûteux en énergie pour le cerveau, est rendue possible par le système 3 de la résistance cognitive, de l’inhibition. Si la surprise est une émotion qui participe à la mémoire des « pièges » rencontrés, cette dernière se développe par des apprentissages spécifiques. Et c’est bien ce qui permet d’exercer son esprit critique.

Cf Apprendre à résister, Olivier HOUDE, édition Champs essais, 2022.

5 grands domaines retenus

Les activités que l’on peut rencontrer dans ces domaines, essentiellement mathématiques, nécessitent particulièrement une capacité à exercer son esprit critique.

  • Les Statistiques. L’automatisation de connaissances en statistiques doit s’accompagner de réflexes de contrôle de la pensée afin que la confiance dans les chiffres ne mène pas à des interprétations erronées.
  • Les Représentations de données. Dans le monde des mathématiques, les représentations graphiques et visuelles sont cruciales. Cependant là encore, leur interprétation peut être biaisée, notamment lorsque l’automatisme dans l’interprétation qui peuvent influencer la manière dont nous percevons et interprétons les données représentées graphiquement.
  • L’usage d’outils d’IA (Google et Chat GPT). Les développements rapides de l’intelligence artificielle (IA) soulèvent des questions cruciales sur la confiance que nous accordons à ces systèmes.
  • Les Paradoxes visuels (le Puzzle Magique). Les paradoxes mathématiques mettent en lumière le biais de fascination pour des concepts apparemment contradictoires. En scrutant le “Puzzle Magique,” on démontre comment notre attrait pour l’énigmatique peut parfois déformer notre compréhension des vérités mathématiques fondamentales.
  • Raisonner (Argumenter et Démontrer). Raisonner en mathématiques implique la capacité à argumenter et démontrer. La connaissance des biais liés au raisonnement mathématique (cf théorie des 3 systèmes de pensée en sciences cognitives) est utile à cet enseignement : il s’agit notamment d’apprendre aux élèves à inhiber des pensées réflexes erronées. Il est important de remettre en question nos propres processus de pensée pour renforcer notre esprit critique.

La pensée critique dans chacun des domaines précédents semble influencée par des biais spécifiques tels que l’autorité, la généralisation abusive, le cadrage, l’ancrage, l’influence de la première information reçue, le biais de confirmation, le biais sélectif de données, celui du rejet et l’enfermement dans la croyance initiale, le biais de la validation subjective …

Choix pédagogiques possibles

Différentes approches permettent d’intégrer l’enseignement de l’esprit critique au cours de mathématiques. Dans chaque cas, il convient de s’interroger sur le rôle du professeur, l’autonomie des élèves et l’élaboration des tâches les plus efficaces pour stimuler une réflexion critique.

1)   On peut envisager un scénario où l’exercice de l’esprit critique est surtout porté par le professeur qui guide les élèves pas à pas, argumente et explicite son fonctionnement de pensée. Il fournit alors des exemples de situations qui « piègent » la pensée.

2)   A l’inverse, le professeur peut proposer de travailler sur des situations réelles qui étonnent et amènent les élèves à explorer des arguments et à débattre

3)   Le professeur peut aussi chercher à développer l’inhibition du fonctionnement intuitif des élèves (système 1 de la théorie d’Olivier Houdé) lorsqu’il conduit à commettre des erreurs. Les tâches d’apprentissages d’automatismes sur des notions-clés, notamment orales, permettent de faire ressortir d’abord la manière dont les élèves réagissent spontanément face à des situations nécessitant un raisonnement critique, puis développent leur système 3 de pensée pour que le cerveau prenne davantage de temps de réflexion et e raisonnement.

4)   Enfin, une approche ludique, utilisant des jeux, est aussi possible comme stratégie pour développer l’esprit critique. Les activités choisies sont alors particulièrement motivantes et surprenantes, elles conduisent les élèves à ressentir une émotion susceptible de les marquer, de favoriser la mémorisation.

Notre recherche-action s’articulera autour de ces typologies, invitant à une réflexion approfondie sur la meilleure façon de cultiver l’esprit critique en classe de mathématiques.

Sitographie

Académie de bordeaux IAN : michel.dezest@ac-bordeaux.fr

A retrouver également :

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