Les lieux de justice en Béarn et Pays basque
JUSTICE ET RÉVOLUTION
Ce qui change à partir de 1789. La révolution française renverse l’ordre judiciaire de l’Ancien Régime.
1-De la souveraineté du roi à celle de la Nation.De la justice royale à la justice de la Nation, légitimée par le peuple.
Ce transfert de pouvoir et de souveraineté s’effectue :
–par la perte des pouvoirs judiciaires du roi : Dans la monarchie absolue, le roi ‘’fontaine de justice’’, est source de justice et l’exerce personnellement.En effet, il peut enlever une affaire à un tribunal, la juger lui-même ou la faire juger par un autre tribunal. En Béarn, cet acte est réglementé (1639, 1641) pour le renvoi des affaires devant les Parlements de Bordeaux ou Toulouse. Le roi a le pouvoir de gracier ou d’amnistier un condamné. Par simple lettre de cachet, il fait enfermer qui il veut, sans donner de motif d’incarcération (arbitraire royal).Àla Révolution, son droit de grâce et les lettres de cachet sont supprimés ; il ne peut plus arrêter les procédures. Le roi n’est plus détenteur du pouvoir judiciaire .
–par l’élection d’une assemblée de députés: la loi émane désormais de la Nation et non du roi.
-par l’élection de juges par des assemblées d’électeurs(citoyens actifs). Ainsi, dans les cantons sont élus des juges de paix et dans chaque district, des juges de première instance. Seuls, les juges du parquet restent nommés par le roi. Les élections se déroulent sans que les candidats ne fassent campagne, sans qu’ils présentent un programme. Il s agit d’élire des hommes, en fonction de leurs compétences.
-par la participation des citoyens à la justice: tribunaux de famille (justice civile), tirage au sort pour siéger dans les jurys d’accusation composés de 8 jurés sur une liste de 30 électeurs et les jurys de jugement composés de 12 jurés (justice pénale). Cette participation citoyenne à la justice s’effectue à différentes échelles du territoire et à tous les stades du procès pénal .
2-Des procédures simplifiées et plus respectueuses des droits de l’homme :
-Au civil :
-les procédures d’arbitrage et de conciliation, afin d’éviter les lenteurs judiciaires et la multiplication des procès, sont privilégiées (voir doc décret de l’Assemblée nationale du 24 août 1790, titre premier, article 1). L’arbitrage des conflits familiaux est rendu par des parents, amis ou voisins qui constituent un tribunal familial : tous ne sont pas des juristes. Les deux parties choisissent librement leurs arbitres. Ces derniers sont dignes de confiance et représentent les parties en litige.
–une possibilité d’appel, au tribunal de district, est créée mais elle doit être précédée d’une conciliation devant le juge de paix : le tribunal de district, composé de professionnels, arbitre en dernier ressort.On compte un tribunal par district, à peu près 8 par département.
-Au pénal:
Désormais le Code Pénal (voté en 1791 par les députés) définit les crimes et les peines. Le code donne une définition laïque du crime et de l’infraction ; les crimes à dimension religieuse (blasphème, sacrilège, magie, sodomie…) deviennent des crimes imaginaires. Les crimes sont hiérarchisés (infractions de police, infractions criminelles). Les peines sont aussi redéfinies en fonction des crimes. La torture et le supplice sont abolis. À partir de 1791, un tribunal criminel est crée par département.
3-Le citoyen intervient dans la procédure pénale à tous les étapes du procès pénal :
-dépôt de plainte auprès d’un officier de police ou d’un juge de paix ;
-être juré, par tirage au sort, dans un jury d’accusation composé de 8 jurés, tirés au sort, sur une liste de 30 électeurs (ce jury est inspiré du modèle judiciaire anglais, la procédure secrète et non contradictoire) : il décide de l‘inculpation ou non, après avoir entendu le rapport du juge du tribunal de district, des témoins à charge et les plaignants. La décision est prise à la majorité de 5 voix sur 8
-être juré, par tirage au sort, dans un jury de jugement (12 membres), lors d’un procès, jugé au tribunal criminel. Le procès est équitable ; l’accusation et la défense se confrontent. La délibération du jury est guidée par le président (intention criminelle, matérialité du crime, responsabilités du criminel, circonstances du crime). Le jury délibère, secrètement : une majorité de 10 voix est requise pour la condamnation. Le verdict repose sur l’intime conviction des jurés.
4-Un personnel judiciaire d’Ancien Régime conservé, mais avec de nouvelles fonctions:
La vénalité des charges est abolie mais c’est le personnel judiciaire d’Ancien Régime qui assure la continuité de la justice: les juges élus sont d’anciens avocats et juges d’Ancien Régime.
Cependant de nouvelles fonctions permettent à des non professionnels du droit d’exercer la justice, ils sont élus par les assemblées de citoyens : les juges de paix. Le décret du 16 août 1790 crée une justice de paix dans chaque chef lieu de canton. Dans le département des Basses-Pyrénées, on dénombre 65 justices de paix en l’an X, puis 40 à partir de cette date. Ces nouveaux juges mettent en place une justice de proximité, gratuite. Leur rôle est de concilier et juger les litiges mineurs en matière civile et de police, d’établir des actes civils (procès verbaux de délibérations de conseils de famille, de scellés, de rapports d’experts, de notoriété), des procès verbaux de gendarmerie, des déclarations d’accident ou de travail, des actes de sociétés.Le juge de paix est un homme de bonne réputation. Les justices de paix sont supprimées en 1958.
L’ordre des avocats est dissout en septembre 1790: ils ne portent plus le titre d’avocat et ne portent plus de robe car tout citoyen peut devenir défenseur. La défense est donc libre et non encadrée. Peu à peu, les défenseurs se professionnalisent.Pour les affaires pénales, des listes de défenseurs officieux sont proposées à l’accusé malgré l’opposition des procureurs.
Le rôle du juge change :Il devient l’organe de la Loi, applique la Loi qui émane de la Nation et selon des textes écrits (Code pénal -1791).En l’absence de texte, pour juger une affaire, il fait un référé législatif auprès des députés qui doivent statuer.
5-La justice actuelle, héritière de la justice de la Révolution : que reste-t-il de la Révolution?
-des procédures (ouverture du procès aux parties)
-l’idée que la justice est légitimée par le peuple (jury populaire en Cour d’Assises)
-une définition laïque du crime et de l’infraction.
Terreur et justice d’exception
La Terreur est un moment de l’histoire de la Révolution et de la Convention. Elle débute en mars-avril 1793 avec la mise en place du Comité de Sûreté générale et du Tribunal révolutionnaire. Elle prend fin le 9 thermidor 1794 avec la mort de Robespierre. L’intensité de la Terreur varie selon les régions, les villes: elle est plus intense dans les lieux acquis à la contre Révolution.
Les moyens de la Terreur à l’échelle nationale:
-le Comité de sûreté générale, composé de 12 à 13 membres, est chargé de la police et de la surveillance des suspects
-le Tribunal révolutionnaire: juge sans possibilité d’appel, en procédure accélérée ;
-la loi des Suspects, votée le 17 septembre 1793
Les moyens de la Terreur à l’échelle locale:
-une Commission extraordinaire par département est créée, par décret du 1 avril 1794 , au nom du Gouvernement révolutionnaire par Monestier ( du Puy De Dôme ), Représentant du Peuple pour l’Armée des Pyrénées Occidentales et pour l’organisation du gouvernement révolutionnaire. Elle se compose de cinq membres : un président, trois juges ( magistrats du tribunal militaire) et du commandant de la Garde Nationale de Tarbes . Elle est complétée par un citoyen exerçant la fonction d’accusateur publique ( Ministère publique) et un greffier. Les séances sont tenues en public et les jugements sont prononcés de même .Ces derniers sont exécutables sur le champ, imprimés , publiés , affichés et distribués dans le département . Dans le département des Basses Pyrénées deux Commissions sont créées l’une à Bayonne 2 mars 1794, l’autre à Pau le 1°avril 1794. A noter: le tribunal criminel ( tribunal ordinaire ) garde son activité durant cette période
.-une guillotine, appelée «machine à décapiter», est envoyée dans chaque province en 1792. Cet envoi est accompagné d’une gravure et du mode d’emploi manuscrit de cette machine. Elle a été utilisée à Pau sur la place Gramont(place de la Révolution) et Place Clémenceau (rue de la Montagne) et à Bayonne
-un comité de surveillance par commune (appelé Comité de Salut public pour celui de Pau) est crée en application de la loi du 21 mars 1793. Ce comité a des compétences en matière de police: surveillance des suspects et des étrangers, établissement de listes de suspects, droit d’ordonner les arrestations de suspects(ennemis de la liberté).Il fonctionne à partir de dénonciations. Il entretient une correspondance active avec les juges de paix , les districts , les communes et toute personne en charge de la sûreté intérieure . Rouages essentiels de la Terreur, les comités de Basses-Pyrénées sont pourtant restés modérés dans leurs actions .
-des sociétés populaires en charge du contrôle des fonctionnaires, de l’exécution des lois, de la diffusion de la propagande montagnarde. Nombreuses dans le département (34 dénombrées) , elles restent très contrôlées par les Représentants en mission. Les sociétés populaires du Béarn sont affiliées à celle de Pau, celles du pays basque à Bayonne. La société populaire de Bayonne prend le nom de Société Républicaine des sans Culottes de Bayonne ;elle tient ses réunions dans l’église du couvent des Carmes ,rue de la place d’Armes , devenue rue Thiers.JUSTICE ET RÉVOLUTION Terreur et justice d’exception.
Les acteurs de la Terreur sont nombreux:
-les députés de la Convention, envoyés en mission dans les départements:crées et nommés par la Convention (décret du 9 mars 1793) ,ils remplacent les Commissaires . Dans les documents ,qui suivent la promulgation du décret , le terme de Commissaire est souvent utilisé, pour désigner les Représentants en mission .Ces représentants ,nommés par groupe de deux , ont en charge une portion de territoire associant deux départements voisins : ainsi ,Monestier est nommé sur les départements des Hautes et Basses Pyrénées.
Leur mission première est de lever ,contrôler et ravitailler l’Armée des Pyrénées Occidentales , créée en avril 1793 , suite à la déclaration de guerre à l’Espagne (7 mars 1793.Ils mettent aussi en place , dans les départements dont ils ont la charge , les Comité de surveillance: ils nomment leurs membres, surveillent les sociétés populaires dont ils président les séances. Leur pouvoir de police est important. Durant la Grande Terreur , leur nombre est porté à trois auprès de chaque armée. Après la Terreur , leur fonction est maintenue par les Thermidoriens : Monestier de la Lozère est nommé jusqu’en 1795 ,en remplacement de Monestier: il supprime les Comités de surveillance des petites communes, libère de nombreux prisonniers, remplace le personnel politique et administratif précédent, épure les sociétés populaires. Il préside aux poursuites judiciaires contre Monestier en faisant rédiger, notamment par la municipalité de Pau , un rapport sur l’activité de celui-ci dans le département
-Un exemple de Représentant en mission:Jean Baptiste Monestier (né dans le Puy de Dôme):
Né dans le Puy De Dôme , effectue d’abord une carrière ecclésiastique : il est Vicaire générale en 1791. Partisan de la Constitution civile du clergé , ,il devient un acteur important de la vie politique de son département: élu député à la Convention en 1792 , il est un montagnard convaincu .Il préside le Club des Jacobins lors du procès de Louis XVI et vote la mort des Girondins .Le 20 juin 1793 , la Convention l’envoie en mission comme Représentant du Peuple pour l’établissement du gouvernement révolutionnaire .Ces fonctions sont de :
• créer à l’échelle du département les institutions de la Terreur
• contrôler l’armée des Pyrénées occidentales , veiller à son approvisionnement
• surveiller les sociétés populaires.
Il exerce cette fonction dans les départements des Basses et Hautes Pyrénées sauf dans les districts de Saint Palais et UstaritzIl crée , par décret , avec les commissaires Ysabeau , Neveu , et C.Alex le Comité de surveillance de Pau et celui de Tarbes .Il réside à Pau (1 rue Bayard) et reste en poste jusqu’au 7 Messidor an II( 25 juin 1794).Personnage extrême, montagnard des premières heures, il laisse un bilan sanglant dans la région. Dans un rapport, rédigé à la demande de son successeur (Monestier de la Lozère) ,adressé à la Convention ,la municipalité de Pau dénonce ses horreurs et excès. Son procès n’aura cependant pas lieu. Emprisonné puis amnistié , il est nommé ,par le Directoire , Président du Tribunal criminel du Puy De Dôme, puis Président du Tribunal de Première Instance à Issoire .
-Les hommes de Loi :
Les professionnels du droit sont présents dans les Comités de surveillance, les Sociétés populaires. Certains occupent des fonctions au niveau national :
-Antoine Conte, oloronais , originaire de Monein, Procureur général des Basses Pyrénées ,
-Jean Baptiste Dulaut (prénom laïque Romaric ) , avocat à Pau , membre de la Garde Nationale paloise (appelée Les Gardes du berceau d’Henri IV) ,homme de confiance de Monestier, Agent national pour le district de Pau
-Les citoyens dans les comités de surveillance et les Sociétés populaires:fonctionnaires civils ou militaires,des soldats, des artisan ,des Sans Culottes … . Peu de paysans en font partie.
Bilan de la Terreur dans les Basses Pyrénées:
-2000 suspects arrêtés: il n’existe qu’une liste de suspects conservée: elle fait état de 464 suspects arrêtés pour la période allant de novembre à décembre 1793 et ne tient pas compte du Pays basque .
-49 exécutions( 46 hommes et 3 femmes ) ,entre septembre 1793 et septembre 1794 , condamnés à mort par des tribunaux d’exception civils ou militaires ,siégeant à Pau ou Bayonne. Un homme est condamné à mort par le Tribunal criminel de Pau ( tribunal ordinaire): il s’agit du Chanoine D’arthez, qui se suicide dans sa cellule à l’énoncé de la sentence . Les exécutions(guillotine ) ont lieu à Pau, place de la Révolution (place Gramont) et rue de la Montagne (place Clemenceau), à Bayonne.Certaines exécutions sont des fusillades : elles se déroulent soit dans la ville où l’accusé est emprisonné ( ex: Tarbes ,Oloron..) soit à Pau ou Bayonne .