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Mimer pour effrayer

Comment s’en sortir quand on ne possède aucune défense naturelle pour lutter contre l’adversaire ? La vie devient alors une partie de poker: il faut « bluffer », montrer sa force de dissuasion, bref convaincre que quiconque s’approche risque de gros problèmes !

En fait il faut imiter un danger déjà connu de l’ennemi, soit en se travestissant en une espèce redoutée, soit en arborant un détail ou une apparence terrifiants.

1. Imiter en devenant terrifiant

  • Mise en scène.

Les chenilles sont souvent les victimes d’oiseaux, de reptiles ou de petits mammifères. Prenons, par exemple, la queue-fourchue (Cerura vinula) de la famille des notodontidés; cette chenille de 6 cm de long, qui donnera un papillon de nuit aux couleurs cryptiques plus ou moins grises, s’orne de dessins blancs, bruns et pourpres sur fond vert. Cette coloration disruptive brise la silhouette de la chenille qui passe ainsi inaperçue au milieu de la végétation. À cela s’ajoutent quatre paires de « fausses pattes » de chaque côté de l’abdomen et, à l’extrémité du corps, comme des fourches, se différencient deux longues queues à base épaisse et à extrémité pointue. Elles font partie de la panoplie terrifiante que dévoile la queue-fourchue en cas d’attaque. Le manège de la chenille a deux objectifs. D’une part, effrayer l’ennemi ; d’autre part, avertir d’un danger éventuel. Dans un premier temps, la chenille rentre la tête et arque les « épaules » : la partie antérieure de son corps paraît alors beaucoup plus grosse et dévoile un masque rose vif portant deux taches noires de part et d’autre de la tête. Ensuite, si cette ruse est inopérante, elle redresse l’extrémité de son abdomen et agité frénétiquement vers l’avant les « queues » d’où vont sortir deux filaments rouges rétractiles. Ces « fouets » émettent une odeur repoussante produite par une sécrétion glandulaire. Enfin, si toute cette mise en scène n’a pas suffi à dissuader le prédateur, la chenille projette, jusqu’à une quinzaine de centimètres, un liquide corrosif très violent émis par une glande thoracique située sous la tête.

  • Des yeux qui ne voient pas

Pour repousser l’ennemi, de nombreuses espèces d’insectes, en particulier des papillons, portent sur les ailes des dessins, les « ocelles », imitant les yeux des chouettes. L’efficacité de ces taches réside dans l’effet de surprise provoqué : le papillon aux ailes repliées, dès l’approche du prédateur, les ouvre brusquement et présente deux yeux fixes qui entraînent le recul de l’agresseur. Les taches concentriques ressemblent plus ou moins à de vrais yeux. La perfection est atteinte chez une espèce Caligo eurylachus, où l’on trouve des ocelles qui s’irisent suivant la lumière ! Outre la brusque frayeur qu’elles suscitent, les ocelles ont pour but, si le prédateur attaque, de l’attirer loin des parties vitales : le bec de l’oiseau se plantera dans une partie qu’il estime vulnérable, l’œil ; en fait, seule l’aile porteuse du faux oeil sera atteinte et non le corps. Le papillon sera certes abîmé, mais pourra repartir, laissant l’oiseau surpris.

Un chenille d’un papillon malgache, utilise également le même stratagème pour effrayer ses prédateurs : les ocelles à l’arrière de son corps et son attitude oscillante font penser à un serpent !!

La chenille d’un sphinx brésilien, Leucorampha ornata, imite aussi les serpents. Lorsqu’elle est menacée, elle replie l’arrière de son corps en forme de S, imitant ainsi la tête d’une vipère avec deux taches sombres simulant des yeux) ou celle d’un alligator (comme un fulgore amazonien, le Lanternaria servillis).

Les faux-yeux du crapaud Bibron (pleurodema bibroni) éloignent aussi ses prédateurs. Lorsque ce dernier se gonfle et replie ses pattes, les 2 taches qu’il porte au bas du dos ressemblent à des yeux menaçants…

2. Ressembler à un animal dangereux :

2.1 mimétisme batésien (mimétisme sensu stricto)

  • Le serpent qui rêvait d’être dangereux…

Il arrive que l’on rencontre des espèces totalement inoffensives imitant des animaux dangereux. Il existe ainsi, par exemple en Amérique du Nord, un serpent-corail (Micrurus fulvius), de la famille des Élapidés, et un faux serpent-corail (Lampropeltis doliata) appartenant aux Colubridés. Le premier possède une livrée de « corail » formée d’anneaux rouges, jaunes et noirs. Son venin est mortel pour des oiseaux ou des petits carnivores. Le second, inoffensif, possède les mêmes anneaux, mais dans un ordre différent. Alors que chez l’espèce dangereuse un anneau jaune touche toujours un anneau rouge, chez l’imitateur le rouge et le jaune sont séparés par un anneau noir. On comprend bien l’intérêt de cette adaptation quand l’espèce imitée est toxique mais non mortelle : l’animal leurré associera toujours les couleurs aposématiques avec un mauvais souvenir et évitera toute espèce la lui rappelant.

On comprend moins bien lorsque l’animal inoffensif imite une espèce mortelle, tel le serpent-corail; en effet, le prédateur succombant immédiatement au poison, il n’y a donc pour lui ni apprentissage ni possibilité d’enseignement à sa progéniture. Le faux serpent-corail n’a pas protégé le vrai non plus, d’ailleurs. L’intérêt de ce cas de mimétisme batésien restait une énigme jusqu’au jour où un chercheur, Robert Mertens, découvrit qu’une troisième espèce de serpent, un autre colubridé du genre Erythrolamprus, portait également une livrée semblable à celle du serpent-corail et avait la particularité d’avoir un venin toxique mais non mortel. En fait, le faux serpent-corail comme le vrai sont tous deux des imitateurs de ce troisième reptile !

  • La chenille qui rêvait d’être serpent

La chenille de la phalène du Costa Rica n’est pas une chenille ordinaire. Lorsqu’elle se sent menacée, elle gonfle sa tête comme un vulgaire ballon. Elle ressemble alors à s’y méprendre à une vipère!!

  • Face à l’araignée « bouffe-mouche »…

 Ces animaux au mimétisme batésien sont les plus fréquemment évoqués; cependant, la façon de se travestir la plus originale est de se faire passer non pas pour une espèce redoutable, comme le faux serpent-corail ou les papillons porteurs d’ocelles, mais pour un congénère de son propre agresseur ! C’est la méthode employée par Rhagoletis zephyria et Zonosemata vitigera, deux mouches de la famille des Trypétidés, les  » mouches des fruits « , face à Salticus scenicus, un représentant de la famille des agélénidés, petite araignée d’environ 6 mm de long, très commune en Europe. Les mouches en question portent des ailes ornées de taches ou des bandes formant des dessins plus ou moins complexes. Quand s’approche une de ces araignées prédatrices, laRhagoletis soulève ses ailes rayées et les fait osciller d’un côté à l’autre ; la Zonosemata, quant à elle, les fait bouger vers l’avant et de haut en bas. De tels battements d’ailes ressemblent aux mouvements de pattes effectuées par l’araignée lors d’une confrontation avec un congénère. La saltique est un animal très territorial, et si un de ses congénères vient à s’égarer sur son territoire, la rencontre relève plus de l’intimidation que de l’affrontement. On comprend maintenant la tactique de la mouche : quand une araignée s’approche un peu trop près d’elle, elle commence sa danse frénétique ; celle-ci croyant avoir à faire à un représentant de son espèce, lui répond en soulevant et en agitant les pattes. Le face à face dure le temps nécessaire pour que l’araignée, se sentant agressée évite la mouche et la laisse s’éloigner sans tenter de la suivre. En fait, la posture adoptée par la mouche, associée aux dessins des ailes, est une adaptation destinée à inhiber le comportement un prédateur d’un agresseur exclusif : la saltique. Devant d’autres espèces, la danse n’a aucun effet.

  • De nombreux insectes pratiquent le mimétisme batésien.

En voici quelques exemples.

Certaines couleurs aposématiques sont en général des couleurs voyantes. Des papillons comestibles comme levice-roi (Limenitis archippus) imitent les couleurs aposématiques du papillon toxique le monarche d’Amérique du Nord (Danaus plexippus) et évitent ainsi d’être mangés.

Mais ce mimétisme ne se restreint pas aux insectes d’une même classe.

Un papillon inoffensif, la sesie apiforme imite un frelon venimeux, caractérisé par les alternances de bandes jaunes et noires signifiant « danger » aux yeux des oiseaux qui les repèrent de loin et ne s’approchent pas.

De même on trouve la contrefaçon du frelon par des espèces de mouches complètement inoffensives, où encore la contrefaçon du bourdon par la mouche volucelle.

2.2 Mimétisme müllérien

Tous pour un et un pour tous !

 En arborant en grand nombre des couleurs aposématiques, des animaux « dangereux » appartenant à des espèces différentes s’assurent d’autant mieux que l’avertissement « danger » est bien acquis par leurs prédateurs. En effet, le sacrifice d’un seul individu appartenant à 1 des espèces utilisant le même mimétisme müllérien suffira pour que le prédateur soit mis en garde par ces couleurs.

Ainsi les guêpes, les scarabées et les mylabres, tous 2 toxiques, s’unissent pour faire connaître la coloration avertisseuse à bandes transversales jaunes et noires.

Certains papillons également comme Heliconius melpomene cythera et Heliconius erato cyrbia, tous deux toxiques, partagent le même territoire et se ressemblent énormément par leurs couleurs et leurs motifs. Ils présentent en plus un mimétisme comportemental puisqu’ils volent de façon similaire !