Lu, vu, entenduS’informer, informer : les circuits de l’information

Le complotisme, décrypter et agir

Didier Desormeaux et Jérôme Grondeux, Le complotisme : décrypter et agir, Canopé, 2017

Cet ouvrage permet de saisir aisément ce qu’est le complotisme, un phénomène qui prend de l’ampleur depuis plus d’une décennie. Après une réflexion sémantique et historique de la notion, les auteurs interrogent la place de l’image et des réseaux sociaux dans la diffusion en masse de ce phénomène. Enfin, ils proposent des pistes pédagogiques pour mener une réflexion devenue aujourd’hui essentielle dans nos classes.

POURQUOI LE COMPLOTISME ?

 Dans cette première partie, les auteurs proposent de définir le complotisme (et le conspirationnisme) et d’en saisir son histoire pour comprendre comment il a évolué dans nos sociétés démocratiques.

1. Du conspirationnisme au complotisme

Les termes complot et conspiration ainsi que les mots et expressions de la même famille (complot, conspiration, conspiracy, conspiracy theory, théorie du complot, manipulation, récit complotiste) ont vu leur sens évoluer. Si le terme comploteurs qualifiait autrefois ceux qui renversaient les pouvoirs établis, il est aujourd’hui utilisé par les tenants de la théorie du complot eux-mêmes pour désigner les pouvoirs en place et leurs agents complices qui dominent le monde, accusés d’agir pour contrôler les consciences, manipuler les masses grâce aux médias, cacher des vérités. C’est pourquoi l’activité principale des complotistes aujourd’hui est de dénoncer l’information dite officielle et de “proposer une information alternative, allant jusqu’à l’édification d’un récit alternatif global de l’histoire de l’humanité”. Dans cette perspective, les récits complotistes vont donner du sens au monde et partagent en ce sens les mêmes fonctions que les mythes, qui, aujourd’hui n’existent plus en tant que tels dans nos sociétés connectées.

Parmi ces récits qui mêlent réel et fiction, on peut remonter à la Révolution française et à l’abbé Barruel (1740-1820) pour identifier l’une des sources d’inspiration du conspirationnisme d’aujourd’hui. Ce jésuite considérait en effet la Révolution comme le résultat d’un complot fomenté par les maçonniques, les Illuminati (décrits dans cet ouvrage) et les philosophes des Lumières. Sont également cités en exemple le conspirationnisme né autour des jésuites ou des juifs (les protocoles des sages de Sion).

2. Le complotisme et la politique moderne

Plusieurs faits du XXème siècle ont pu être vus comme des conspirations ou nourrir ces dernières : le communisme soviétique, les régimes totalitaires, la guerre froide, l’assassinat de Kennedy, le conflit israélo-palestinien… La mondialisation et la complexité du monde d’après-guerre froide sont aussi évoquées, avec le besoin d’une nouvelle grille de lecture du monde pour remplacer celle de la guerre froide qui paraissait si simple.

Les attentats du 11 septembre 2001 sont présentés comme un tournant, donnant lieu à des thèses complotistes largement diffusées via ce nouveau média de masse qu’est internet, internet qui va permettre l’épanouissement de la “culture du soupçon”.

3. La démocratie et ses limites

Le régime démocratique tel qu’il peut se présenter aujourd’hui, sous la forme d’un régime représentatif, peut conduire à une certaine opacité (involontaire ou nécessaire), facilitant l’émergence de « mythes conspirationnistes ». En effet, la recherche de compromis, le recours au non-dit, l’essor de la communication politique, de la technocratie avec un rôle de plus en plus important des experts dans la prise de décision politique favorisent l’impression récurrente d’une dissimulation.

Le complotisme peut alors être vu comme un mécontentement contre le cadre de la démocratie, dénonçant le poids des élites économiques (ex : le groupe Bilderberg créé pour favoriser la coopération européenne et resserrer les liens avec les États-Unis, et dont les réunions annuelles rassemblent les hommes politiques, diplomates et hommes d’affaires,  a pu être accusé de conspiration visant à instaurer un gouvernement mondial).

Le complotisme naît aussi des angoisses apocalyptiques contemporaines. Les auteurs recensent les domaines et citent des exemples, qui sont aujourd’hui sujets à complotisme, un complotisme qui serait mené par ceux censés protéger la population : ainsi , les militaires  expérimenteraient toutes sortes d’armes inconnues ou procèderaient à l’épandage de poudres dans le ciel destinées à modifier le climat ou à rendre apathique la population, l’industrie médicale chercherait à inoculer des substances toxiques ayant les mêmes visées, les progrès techniques et la science officielle participeraient à une manipulation mentale généralisée… Ces divers exemples montrent que le complotisme est devenu un “phénomène de masse”.

 

COMPLOT ET COMMUNICATION DU TEXTE VISUEL

Les populations, et particulièrement les jeunes, s’informent majoritairement sur le web où l’image a pris une place considérable.

1. La diffusion des théories complotistes

Au XXème siècle, dans la littérature de science-fiction, le cinéma, la BD…  des œuvres mêlant fiction et réalité représentent de manière fantasmatique un pouvoir mondial supposé secret et archipuissant, parfois mis en place par des forces maléfiques. En parallèle se développe une littérature complotiste (Pauwels et Bergier) qui va connaître un crédit considérable avec le roman Da Vinci Code de Dan Brown (en laissant croire qu’il repose sur la réalité historique, ce best-seller reprend et assoit mondialement la mystification des Illuminati).

Les médias de masse vont aussi accompagner cette diffusion (ex : X-files, série diffusée à la télévision), Internet modifiant considérablement la donne. Des interprétations alternatives de l’attentat du 11 septembre 2001 sont ainsi diffusées massivement, Internet offrant une “rapidité” de diffusion dans le temps et dans l’espace et assurant un regroupement des internautes pourtant, par définition, isolés.

2. L’image au cœur du complotisme

L’usage du numérique a profondément modifié la nature et la forme du complotisme.

Produire une image, une vidéo de qualité est aujourd’hui à la portée de tous. Une image va servir de preuve ; les complotistes y décèlent les signes d’une société secrète, traquent tout ce qui peut relever d’un message subliminal (dans les logos par exemple) ou proposent une explication qu’ils jugent plus rationnelle des événements (pour l’assassinat de Kennedy ou les attentats de 2001).

3. Comment fonctionnent les récits complotistes

Des activités pédagogiques permettent à des lycéens de comprendre aisément le fonctionnement des récits complotistes. Ainsi, les élèves du lycée Vionnet de Bondy ont-ils pu identifier eux-mêmes les ingrédients d’une bonne théorie du complot, à partir de la création de pastiches de vidéos complotistes diffusées sur Internet.

Les auteurs poursuivent en analysant les procédés mis en œuvre dans les différents  genres du récit complotiste (face caméra, conférences, film du complot) et expliquent les mécanismes cognitifs qui se mettent en place chez l’individu lorsqu’il voit une image. Les complotistes utilisent des images rassurantes et les combinent à des éléments qui vont provoquer peur et inquiétude. Des symboles forts sont véhiculés à travers les images. Les auteurs proposent un exercice simple (activité “de la ligne au clocher”) pour faire comprendre aux élèves comment les complotistes peuvent utiliser ces symboles.

La grammaire de l’image (cadres, plans, séquence…) et le rôle du montage cinématographique sont évoqués et illustrés.

FACE AU COMPLOTISME : RÉAGIR ET AGIR

L’école est le lieu par excellence pour combattre le complotisme. Les réponses s’inscrivent tant dans le court terme que de manière plus profonde dans le temps des apprentissages scolaires.

1. Déconstruire les théories du complot

Les auteurs donnent des conseils sur les attitudes à envisager face aux affirmations et/ou questions des élèves : éviter d’entrer dans une discussion de réfutation à partir d’une remarque d’un élève (qui se veut souvent provocateur et qui chercherait à instaurer une situation de blocage), s’appuyer sur les entrées des programmes, (en particulier tout ce qui concerne l’éducation aux médias et à l’information, l’EMC, la construction de l’information en français en classe de seconde pro…), considérer le processus engagé comme un temps long. Il s’agit d’amener les élèves « à penser autrement que dans le cadre du prêt-à-penser, ou plus exactement du « déjà pensé » complotiste. »

2. La réponse à long terme

L’éducation aux médias est une clé importante. Elle doit permettre aux élèves de concevoir ces derniers “comme une ressource et comme un objet d’examen”. Les élèves doivent être confrontés aux missions, méthodes et responsabilités du journaliste professionnel, que les auteurs commentent dans cet ouvrage. L’importance des sources et leur vérification restent essentielles (pratique actuelle du fact checking).

Enseigner les valeurs de la République est une autre clé. Ces valeurs, à présenter comme “une préférence et une exigence” doivent être confrontées au regard de la réalité. Elles se sont construites sur la durée en mêlant intérêt général et liberté individuelle.

Enfin, il s’agit d’exercer l’esprit critique de nos élèves et notamment d’aiguiser leur aptitude à être curieux, c’est-à-dire leur aptitude à savoir s’interroger.

 

L’ouvrage se termine par une bibliographie, une sitographie et un accès à des ressources pédagogiques disponibles en ligne.

 

                                                                                                                                                     Fiche de lecture réalisée par Isabelle Crevisy et Christophe Sicard.