TraAM 2020-2021 | Pratiques et représentations de l’EMI au cycle 3 : enjeux et obstacles
Réalisation d’une recherche inter-académique sur l’Éducation aux Médias et à l’Information au cycle 3 dans le premier degré.
Un groupe de professeurs documentalistes a étudié la mise en œuvre de l’EMI dans les classes de CM1 et CM2, interrogé la culture de l’information spécifique au Cycle 3 dans le premier degré et cherché à adapter la pédagogie documentaire à l’entrée en 6e.
Il semble difficile de trouver un consensus tant pour une définition des contenus à transmettre que pour un déploiement dans les établissements scolaires. Trois axes émergent dans leur recherche : esquisse d’une modélisation de l’EMI au cycle 3, analyse des compétences en lien avec l’EMI, outils de travail réalisés suite à l’analyse des besoins des enseignants rencontrés.
Pratiques et représentations de l’EMI au cycle 3 : enjeux et obstacles
Article réflexif résultant d’un travail de recherche dans le cadre des TraAM 2020/2021 en Documentation
Marine Thomas (Lille)
Myriam Le Cerf (Bordeaux)
Marie-Dominique Paccault (Nantes)
Aurélie Prillieux (Guyane)
Adeline Ségui-Entraygues (Bordeaux)
Enseignantes documentalistes
Dans le cadre des TraAM 2020/2021, dont la thématique en documentation est : Continuum de formation et compétences informationnelles : quelle place le professeur documentaliste occupe-t-il dans le processus d’acquisition de la culture informationnelle ? nous avons réalisé une recherche inter académique sur l’Éducation aux médias et à l’information au cycle 3 dans le premier degré. Nous avions pour objet d’étudier la mise en œuvre de l’EMI dans les classes de CM1 et CM2 et de modéliser une culture de l’information spécifique au Cycle 3 dans le premier degré pour mieux adapter la pédagogie documentaire à l’entrée en 6e.
Entre une injonction ministérielle d’intégration de l’EMI (MEN 2018) et des recommandations pédagogiques assez pauvres (Pascau 2021), il semble difficile de trouver un consensus tant pour une définition des contenus à transmettre que pour un déploiement dans les établissements scolaires (Frau-Meigs, Divina, Marlène Loïcq, et Perrine Boutin 2014)
Pour notre méthodologie empirique, nous avons mis en œuvre une double modularité avec un questionnaire en ligne et des entretiens quantitatifs à destination des enseignants de CM1 ou CM2. Notre corpus de recherche avec dix entretiens et 69 réponses au questionnaire nous permet d’avoir un échantillonnage riche et hétérogène qui se répartit sur quatre académies, Guyane, Lille, Nantes et Bordeaux.
Dans cet article, nous allons développer trois axes qui ont émergé dans notre recherche : nous esquisserons une modélisation de l’EMI au cycle 3, ensuite nous analyserons les compétences en lien avec l’EMI puis nous proposerons des outils de travail réalisés suite à l’analyse des besoins des enseignants rencontrés.
Modélisation de l’EMI
A partir des réponses des questionnaires et de l’analyse discursive, nous allons exposer quelques caractéristiques de l’EMI telles que nous les avons analysées.
Tout d’abord, l’EMI semble spécifique au second degré : lorsque nous avons abordé la thématique de l’EMI avec les professeurs des écoles, nous avons dû développer le sigle ce qui montre que l’EMI n’est pas une évidence dans le premier degré. L’éducation aux médias et à l’information dans le premier degré s’explique par la méconnaissance des recommandations institutionnelles de la part des enseignants. Cependant, 71 % des professeurs des écoles affirment déployer l’EMI en classe.
En effet, il existe un consensus sur la nécessité absolue de l’EMI : une minorité le réfute (moins de 3%). Former à des pratiques d’information raisonnées est un des premiers arguments avancés pour 80 % des professeurs interrogés. Viennent ensuite la culture générale de l’élève pour 60 % des professeurs puis la poursuite de la scolarité (40%).
Afin de cerner les représentations de l’EMI, avec les 207 mots-clés recueillis relatifs à l’EMI [Donnez 3 mots clés relatifs selon vous à l’Education aux Médias et à l’Information (EMI)], nous avons réalisé un nuage de mots présentant les tendances des représentations de l’EMI. Trois aspects de l’EMI émergent, à savoir les médias, la recherche d’information et l’esprit critique. L’EMI s’avère dans les discours dichotomiques, d’un côté, procédurale et de l’autre côté, réflexive avec une volonté de transmettre une citoyenneté informationnelle.
Si nous nous intéressons plus précisément aux définitions données dans les entretiens, elles corroborent nos premières conclusions et rejoignent les représentations observées à travers le nuage de mots. Toutefois, les définitions demeurent floues et partielles ; L’EMI sert à “comprendre le monde mais en le décortiquant” (ES33-2). Pour d’autres enseignantes, l’EMI, “c’est savoir rechercher des informations pour mieux s’éduquer, si on peut dire” (ES 973-01) ou c’est “apprendre à se servir de… apprendre aux enfants ce qu’est une information, quels sont les supports d’information, comment on fait le tri entre des informations avérées ou pas, les sources du coup les différents médias” (ES33-1). Dans la définition suivante, nous remarquons que l’EMI est divisée en deux pans : “c’est deux versants, le versant comment on s’en sert – je ne sais pas…- pour rechercher, pour trouver des informations, et de l’autre côté le versant justement avoir un regard critique aussi sur tout ce qu’on trouve sur internet, sur ce qu’on peut faire, pas faire” (ES 973-2).
Ainsi, nous soulignons que l’EMI telle que décrite par les professeurs des écoles est ancrée dans la réalité informationnelle et dans la société de l’information ; elle est rattachée le plus souvent à l’information médiatique. Elle se rapporte aux besoins des apprenants et devient affective et émotionnelle en rapport avec l’information à laquelle ils sont confrontés dans leur vie de futur citoyen de la société de l’information. Une enseignante nous confie s’adapter à ce que vivent ses élèves : “Nous, l’information c’est plutôt l’information sur la documentation pas tellement sur des sujets d’actualité sauf quand ça touche l’école, quand ça touche les valeurs de la république ou des fois on la traite parce qu’ils en ont besoin et qu’on le sent” (ES 33-2).
En revanche, la mise en œuvre n’est pas évidente dans tous les établissements scolaires. Les raisons invoquées sont liées à des problématiques matérielles ou temporelles pour les contraintes liées à l’établissement. Le manque d’ordinateurs ou de connexion internet dans la classe empêchent de travailler en EMI. La priorité est donnée à des compétences classiques comme le français et les mathématiques. Parfois, il existe un manque de connaissances des ressources, les professeurs parlent souvent du peu de formations sur le thème de l’EMI. Pour 50 % des professeurs des écoles interrogés, l’approche de l’EMI est transversale, alors que 34% l’abordent dans le cadre de projets spécifiques. Plus de la moitié de l’Education aux Médias et l’Information ne fait pas l’objet d’une évaluation.
Nous pouvons parler d’essaimage optimisé avec une mise en œuvre hétérogène propre à chaque enseignant et à chaque établissement.
Enfin, la liaison école/collège concerne très peu l’EMI et l’enseignant documentaliste n’est pas un partenaire naturel de cette liaison. 7 % des projets seulement concernent l’EMI et seuls 8% des professeurs des écoles travaillent avec un enseignant documentaliste. Il nous semblait intéressant de creuser la figure de l’enseignant documentaliste en tant que personne-ressource et partenaire potentiel du cycle 1 : en effet, 90 % des enseignants sont favorables à des actions de sensibilisation ponctuelles dans leur classe dans le cadre de la liaison école/collège. Cela pourrait constituer un axe de réflexion pour nous, enseignants documentalistes avec la possibilité de devenir des intervenants privilégiés du premier degré.
Compétences EMI au cycle 3
A présent, nous pouvons nous intéresser aux compétences EMI engagées par les enseignants au cycle 3. Dans un premier temps, nous pouvons souligner que beaucoup de professeurs des écoles font, à l’image de Monsieur Jourdain, de l’EMI sans en avoir conscience. Ainsi, 17,4 % des professeurs ayant répondu à l’enquête affirment n’aborder aucune compétence en EMI, et 56,5 % seulement disent travailler sur « Rechercher, identifier et organiser l’information ». Pourtant, dans une question sur les repères donnés aux élèves, 84 % des répondants affirment être susceptibles de travailler la recherche simple d’information, souvent, selon les entretiens, dans le cadre de la réalisation d’exposés, parfois dans le cadre de défis internet. Plusieurs enseignants soulignent néanmoins qu’il ne s’agit pas d’une compétence travaillée spécifiquement, et que l’enseignement n’est pas formalisé et structuré : ils donnent des indications à l’occasion de recherches demandées au domicile, mais l’absence de moyens matériels (trop peu d’ordinateurs, pas d’accès à internet dans la classe…) ou le sentiment de ne pas disposer des ressources et compétences pour aborder cette thématique en s’adaptant au niveau des élèves représentent des freins. Prélever des informations dans différents types de supports (savoir lire un article de presse notamment) fait partie des compétences largement évoquées en entretien.
Les autres compétences les plus abordées demeurent techniques et procédurales : Créer un traitement de texte (63 %) et le mettre en forme (41 %) – (CRCN : Création de contenu – Développer des documents à contenu majoritairement textuel) savoir de quoi est composé un environnement de travail (souris, clavier) (53 %), préalables indispensables et qui par ailleurs par leur technicité ne risquent pas de confronter l’enseignant à des situations sensibles.
En effet, ceux-ci soulignent la nécessité qu’il y aurait à développer chez les élèves un usage citoyen et responsable d’internet. Développer l’esprit critique, leur capacité à remettre en question une information, leur capacité à surfer sans dérive, éviter le harcèlement et les insultes sur internet…mais tous reconnaissent que si cette dimension est essentielle, notamment de par la grande exposition des élèves aux écrans et aux informations, peu ont la possibilité de l’aborder concrètement.
Le manque de temps, la priorité donnée à d’autres points du programme, ne laissent pas la latitude pour approfondir ces thématiques, quand ce ne sont pas des problèmes techniques qui représentent un obstacle. Cela met parfois dans une position inconfortable : les enseignants veulent à juste titre protéger leurs élèves et voudraient leur apprendre à se protéger eux-mêmes dans leurs usages des écrans mais ils n’en ont pas la possibilité. Un enseignant filtre ainsi au préalable les sites sur lesquels ses élèves peuvent faire la recherche d’information, étant dans l’impossibilité de surveiller l’intégralité des recherches et voulant éviter les sites inadaptés, tout en soulignant que ses élèves de CM1-CM2 surfent depuis les tablettes, portables et ordinateurs de la maison et sont déjà inscrits sur Tik-tok, Instagram…La prévention du harcèlement et des dérives est souvent abordée par des intervenants extérieurs, notamment par la Gendarmerie, des associations, les enseignants ayant souvent peur de ne pas avoir le mot juste ou de mal aborder des thématiques sensibles : “ils sont quand même petits […] et je ne saurais pas trop où situer la barrière, non plus, savoir jusqu’où je peux aller…” (ES 973-2).
Au-delà, à l’exception d’un professeur qui a mis en place un rituel tous les matins (« lu et entendu »), il semble se mettre en place une autocensure chez certains enseignants autour de l’actualité par peur des réactions notamment parentales, tout en soulignant que ce phénomène n’est peut-être pas justifié : “Il y a des sujets que j’évite dans la presse par contre, par peur des représailles”. […] Néanmoins, je me dis cela mais peut-être qu’aucun problème n’émergerait » (ES 62-1) ou “les sujets abordés restent des sujets assez consensuels car des sujets comme la religion dans la presse pourrait créer des problèmes avec certains élèves et parents d’élèves, du moins je le pense. Je préfère éviter l’analyse d’actualité” (ES 62-2).
Nous en déduisons que les compétences abordées sont influencées par les représentations qu’ont les professeurs des écoles de l’EMI. L’image d’une EMI aux contenus flous et mouvants infléchit son déploiement auprès des élèves.
Des ressources pour le cycle 3 : une mutualisation pour une efficience de la liaison école-collège
L’Education aux Médias et à l’Information, étant une “éducation à” ayant sa place durant le cycle 3, elle peut faire l’objet d’une liaison école-collège. À la suite de l’expression des besoins des personnes rencontrées lors de notre recherche, nous avons réfléchi à ce que nous pouvions mettre en place en tant qu’enseignant documentaliste afin de faciliter de la transmission d’une EMI. Elle pourrait prendre la forme de ressources réalisées par les professeurs documentalistes à destination des professeurs des écoles, de rencontres et de discussions entre professeurs des écoles et professeurs documentalistes en vue d’une collaboration et d’une mise en œuvre d’une continuité pédagogique prenant en considération la continuité pédagogique en EMI et de venues d’élèves de 6ème en école élémentaire dans le cadre de projets ou inversement d’accueil d’élèves de CM1 et/ou de CM2 au collège au CDI. L’EMI faisant pleinement partie du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et des parcours, cette liaison école-collège en EMI contribue à la mise en place de l’école du socle.
Pour faciliter la collaboration, nous avons réalisé un questionnaire en ligne à destination des enseignants du cycle 3 sur les notions et compétences travaillées dans l’année afin de favoriser le dialogue entre professeurs des écoles de cycle 3 et professeurs de collège, autour de l’EMI. Il permet de faire le bilan des compétences travaillées par les élèves, notamment les compétences numériques. Par le biais de ce travail de recherche, nous avons identifié des besoins en termes de formation et de ressources ; les professeurs des écoles n’étant pas assez formés pour développer une progression EMI efficiente. “Elle est indispensable, notamment pour développer l’esprit critique des élèves. Néanmoins, je ne réalise pas de progression EMI en tant que telle et je trouve peu le temps d’en faire” (ES62-01).
Un genially spécifique à des ressources pour le premier degré
Support sur les liaisons École-Collège et l’ÉMI réalisé par les académies de Bordeaux (Adeline Ségui Entraygue et Myriam Lecerf), de Lille (Marine Thomas), de Nantes (Marie-Dominique Paccault), et de Guyane (Aurélie Prillieux).
Des capsules vidéos à destination des professeurs des écoles (cycle 3) ont été réalisées par Marine Thomas (Académie de Lille) sur la base des attendus de l’Education aux Médias et à l’Information en cycle et du CRCN au niveau 1 : EMI cycle 3 et/ou CRCN niveau 1.
Nous avons pour but de développer ce travail afin répondre de manière efficiente aux manques exprimés par les professeurs des écoles interrogés.
Perspectives
A la lumière de cette recherche, nous avons analysé ces clivages paradoxaux entre pratiques et représentations pour donner du sens à l’EMI et promouvoir la liaison CM2/6e en donnant du sens aux apprentissages. Comprendre l’EMI en tant qu’objet théorique nous permettra de mettre en lumières les enjeux et les obstacles engagés dans cette « éducation à ».
En tant qu’enseignants documentalistes, nous sommes chargés de l’EMI dans le second degré et nous nous intéressons à la liaison CM2/6e. Ce travail va nourrir la pédagogie documentaire mise en place dans ce contexte-là.
En ce qui concerne les perspectives que nous donnerons à ce travail, nous allons poursuivre cette réflexion afin d’exploiter la totalité du corpus et les verbatim. En effet, nous avons mis en œuvre une recherche avec une méthodologie scientifique sans nous situer dans une temporalité adaptée.
Bibliographie
- Entraygues, Adeline. « La place des réseaux socionumériques dans la culture de l’information. Pratiques prescrites scolaires et pratiques d’informations informelles des jeunes dans le second degré. » Bordeaux Montaigne, 2020. https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03045854
- Frau-Meigs, Divina, Marlène Loïcq, et Perrine Boutin. « Politiques d’éducation aux médias et à l’information en France. Rapport du projet ANR TRANSLIT et COST « Transforming Audiences/Transforming Societies ». Paris: Université Sorbonne Nouvelle., 2014.
- MEN. « Orientations pour l’éducation aux médias et à l’information (EMI)Cycles 2 et 3 ». MEN, 2018. https://eduscol.education.fr/document/327/download
- Pascau, Julie. « L’évolution de l’EMI face au numérique et positionnement des enseignants ». Revue française des sciences de l’information et de la communication, no 22 (1 mai 2021). https://doi.org/10.4000/rfsic.10989
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